Je profite d’avoir quelques heures de pause à la ferme en pleine saison pour rédiger un article sur un travail de conception que j’ai mené l’hiver dernier pour Emma et Germain (leurs noms ont été changés) près de Lyon.
En fait la mission que l’on m’a confiée allait bien plus loin que le dessin de la ferme, nous avons cheminé ensemble 4 mois pour :
- Définir la raison d’être commune de Emma et Germain, et les objectif du projet qui concilie lieu de vie et activité professionnelle
- Rédiger l’arbre à produit, le programme décrivant en détail ce qui doit être réalisé
- Etablir le prévisionnel de la ferme en vu des RDV avec les partenaires administratifs et financiers
- Définir la structure juridique, les options fiscales et comptables
- Réaliser le plan d’aménagement et phasage des travaux
Raison d’être et objectifs
Avant de se lancer tête baissée sur un planning de culture et le type de serre à mettre sur le terrain, il convient de bien harmoniser les rêves de chacun et être sûr de partir du bon pied ! A travers 2 questionnaires nous avons pu apprendre les motivation de chacun, et identifier parfois des sujets sensibles à clarifier.
Par exemple les tempéraments de Emma et Germain sont bien différents ! Germain bouillonne, et est plutôt impatient. Emma plutôt en manque de confiance en soi et tendance à repousser le passage à l’action. Tous les 2 veulent vivre de leur métier de maraîcher, mais pas près aux même sacrifices au démarrage (temps de travail). Nous avons donc bien pris le temps d’écrire comment chaque membre du couple va s’engager et aménager la taille de la ferme en fonction.
Avant de co-écrire le projet, nous avons pris le temps d’échanger autour de la coopération, l’impact d’un projet professionnel commun très prenant sur la vie de famille. C’était l’occasion d’aborder les outils de gouvernance que j’utilise dans le cadre du projet demain en main : communication non-violente, gestion par consentement, cercles de paroles…
Nous en avons retenu une routine simple pour Emma et Guillaume :
Idéalement, 2 fois par moi faire le point ensemble durant 1h sur les besoins non remplis dans leur projet. Se noter au fur et à mesure des 2 semaines les petits cailloux du moment pour bien se rappeler de tout avant la discussion.
C’est l’occasion de bien préciser ensemble les besoins et définir ensemble une stratégie gagnant / gagnant.
Il s’en est déduit ensuite un travail de rédaction d’une raison d’être commune en partant des raisons d’être individuelles. Nous avons abouti au petit texte ci-dessous :
Avoir un lieu de vie où l’on peut vivre en famille entourés de nature et d’animaux. Ce lieu nous permet d’avoir un travail qui a du sens à nos yeux : nous travaillons pour produire des fruits et légumes que nous vendons localement, en respectant notre environnement.
Raison d’être de Germain : Je souhaite me recentrer sur la nature et vivre en harmonie avec elle (végétation, animaux). Mon but est de produire ses fruits et légumes ainsi que ceux des autres en respectant la terre, ce que je veux c’est travailler avec ma tête mais aussi avec mes mains Je trouve important le fait d’échanger sur mon projet et de rencontrer des gens qui partagent cette vision
Raison d’être de Emma : Vivre en famille dans un lieu où je peux être entourée de et travailler avec la nature et les animaux. Ce lieu me permet d’avoir une production (fruits et légumes) variée et de la vendre localement afin de pouvoir en vivre.
Pour concrétiser cela, 4 objectifs structurent le projet :
- Vivre de notre production maraichère bio pour 2 ETP pour en dégager 2 SMIC d’ici 2024
- Avoir terminé la maison d’habitation d’ici septembre 2021 et en faire un lieu d’accueil et de passage agréable
- Créer un pré-verger (en plantant des arbres fruitiers et fourragers) qui permette d’accueillir divers animaux (2 chevaux, poules, lapin, chèvre? ….) et de leur procurer leur fourrage.
- Recréer un écosystème résilient, notamment sur les aspects hydrologiques (être en autonomie sur l’eau domestique et une partie de l’eau pour le maraîchage)
Un joli programme donc !
Arbre à produit ou carte mentale du projet
Pour établir le plan de financement, il convient d’aller un peu plus loin que ces 4 phrases. Nous avons alors mis en pratique l’outil « Arbre à Produits » ou « Carte mentale ». L’idée est de développer toutes les facettes du projet et spécifier au mieux les surfaces, tailles et autres aspects techniques.
Ainsi, à chaque objectif nous réfléchissons en détail sur les légumes cultivés, les surfaces de serre, les locaux de stockage, de transformation, de vente, … Il y a aussi la maison, la répartition des pièces, un studio pour les amis. Pour le volet animaux, on y liste les chats, chiens, chevaux, poules et infrastructures associées. Toute la carte mentale peut être consultée ci-dessous :
Il est bon mon prévisionnel il est bon !
Et bien tout cela nous amène naturellement au chiffrage de l’affaire. Et oui bien souvent on rechigne un peu à passer du projet rêvé au chiffrage. Mais sachez que le plus difficile est déjà passé, normalement une fois le projet bien écrit il n’y a « plus qu’à le chiffrer ». Et surtout vérifier que cela tient bien la route dans le long terme.
Nouveau chapitre, nouvel outil. Ici nous avons travaillé avec l’outil de chiffrage des microfermes bien sûr (un peu de pub) !
Pour reprendre dans les grandes lignes comment nous avons abouti à cet équilibre :
- Emma et Germain sont deux jeunes ingénieurs, et disposent déjà d’un peu d’argent de côté. L’idée est de solliciter le moins possible la banque, et de se rémunérer avec les DJA (ils ont la capacité agricole de part leurs études)
- Ils sont propriétaires du terrain, et paient un prêt personnel pour cet achat.
- Au niveau du temps de travail, nous partons sur 2UTH (UTH = unité de travail humain dans le jargon agricole). Cela représente 5000 heures à l’année
- En revenu visé : 1500€/mois par personne en 5ème année
- Surfaces cultivées en maraîchage non mécanisé sur petite surface : 800m² sous serre, 600m² dehors de planches permanentes.
Moyennant ces temps de travail et surfaces cultivées, nous avons établi les investissements ci-dessous :
- Serre : 36k€
- Arbres / arbustes / mares : 12k€
- Atelier poules pondeuses : 7,5k€
- Véhicule : 15k€
- Foncier / Aménagement des locaux / outillages : 25k€
- Irrigation : 15k€
Avec les apports personnels de Emma et Germain d’environ 90k€, il reste un petit prêt de 36k€ que l’on a choisi de mettre sur les serres.
Le prévisionnel détaillé complet présentant les chiffre d’affaires visés, les charges et revenus dégagés est disponible ci-dessous. Cela permet de voir que dans cette configuration il y a de bonne chance de succès car peu d’annuités bancaires à payer chaque année.
Plan d’aménagement en permaculture de la ferme
Le lieu se compose d’une ancienne ferme traditionnelle en 2 parties (habitation et garage / grenier / cave). Autour, c’est une prairie de 2 hectares avec un étang de 1500m² environ. La parcelle est enclavée dans une dense forêt qui projette une ombre importante au cours de la journée.
Depuis 1945, l’espace est cultivé en grande culture conventionnelle. En 1998, l’étang est creusé, et le jardin de la ferme prend la place sur la prairie. Le site est en pente relativement forte orientée avec des vent dominants sud et nord caractéristiques que cette région. La pluviométrie de 770mm est relativement régulière, mais le climat très continental (15 gels par mois en janvier par exemple). La qualité du sol est assez médiocre (terre claire, peu de profondeur, pas mal de cailloux).
Le plan d’aménagement avec une légende détaillée est disponible en cliquant sur le bouton ci-dessous. Nous avons placé la serre sur les meilleures terres et dans la zone la plus ensoleillée. Un accès dédié à la ferme sera créé pour préserver la vie privée de la famille. L’ensemble de l’activité s’articule autour de l’étang existant qui apporte le microclimat favorable à la production. Les poules bordent le maraîchage pour faire barrière au limaces et compagnie qui pourraient migrer depuis la zone humide. Je vous laisse découvrir tous les détails plus loin bonne lecture !
Pour télécharger le design en haute qualité, c’est sur le bouton ci-dessous :
Vous pouvez découvrir d’autres designs en permaculture que j’ai réalisés cette année avec les liens qui suivent :
- 3 conception en permaculture à découvrir !
- Le design de mon jardin
- Un design complet de jardin vivrier
- Une maison et son jardin autonome
- Une ferme biologique
- Conception en permaculture d’un ancien moulin converti en ferme diversifiée
- Une ancienne ferme en lieu autonome
Pour celles et ceux qui veulent passer à l’action c’est possible ! Je vous propose un premier outil « apprendre à faire soi-même son design en permaculture » :
Et pour aller plus loin, j’ai créé 2 stages différents qui se déroulent dans l’écovillage Demain en main dont je suis un des fondateurs (région Bretagne / Morbihan) :
- Un stage pratique de conception et permaculture. Cela se déroule sur 2 jours pour apprendre les bases de la conception en permaculture sur un site concret du village.
- Un stage dédié à la production de légumes pour apprendre à être autonome chez soi. Cela se déroule sur toute l’année, à raison d’une journée par mois (soit 12 journées au choix au total).