Aujourd’hui je partage avec vous un article de vulgarisation d’un travail de recherche sur les micro-ferme porté par Kevin MOREL entre 2013 et 2016 encadré par François LEGER dans l’équipe Agricultures Urbaines (UMR SADAPT, INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay).
Je mets ma casquette d’ancien responsable de service Recherche et Développement pour vous proposer mon analyse et un résumé accessible pour le plus grand nombre. C’est parti !
Après ma lecture attentive de cette thèse et notamment le résumé de 97 pages intitulé « Viabilité des microfermes maraîchères biologiques. Diffusion des principaux résultats de thèses », je suis sûr que nous avons là un travail d’une grande qualité qui a été mené en concertation avec les différents intervenants du milieu agricole (maraichers, formateurs et institutions). C’est indéniablement un point fort qui consolide l’approche de modélisation que j’ai trouvé rigoureuse bien que l’échantillon initial de fermes soit restreint.
Une microferme, c’est quoi ?
Avant d’entrer dans le vif du sujet, reprenons les principales définitions du travail de recherche. On entend par microferme maraîchère une ferme dont la production principale est le maraîchage et dont la surface est inférieure à 1.5Ha par ETP (Temps plein). Pour affiner cette description, une analyse qualitative de 20 fermes au nord de la Loire a été menée pour clarifier se qui compose une microferme maraîchère.
Les 20 fermes enquêtées en bref :
Années depuis l'installation
2 à 10 ans
Surface agricole utile
1 à 20 Ha
Equivalent temps plein
1 à 5
Surfaces en maraîchage
1200m² à 1,2Ha
Part des serres sur la surface cultivée
1% à 58%
Nombre de légumes
30 à 80
Il en ressort que pour toutes les fermes, le maraîcher (ou la maraîchère) voit dans la ferme un projet de vie global qui conjugue le besoin d’autonomie, le sens au travail, la charge de travail acceptable, le revenu décent et la qualité de vie.
Si les motivations premières sont partagées par tous les maraîchers, la façon opérationnelle de développer la ferme peut varier de façon significative ! Chaque structure s’adapte à son contexte local et développe sa propre stratégie. Les principaux points de convergence sur les stratégies mis en œuvre sont listés ci-dessous. Attention, c'est une synthèse des cas majortaires, et je vous invite à consulter le tableau de la page 26 pour voir toutes les stratégies mises en oeuvre.
Commercialisation
Les fermes vendent principalement en AMAP et à la ferme sur 11 ou 12 mois par an.
Ancrage territorial
Pour s'intégrer dans la vie locale il y a des visites à la ferme. En parallèle ces fermes sollicitent les voisins et proches pour la réalisation de gros chantiers et s’appuient régulièrement sur les réseaux locaux (partages et échanges avec d’autres agriculteurs). Ces liens permettent de faciliter l’apport de matière organique souvent gratuit.
Investissements
Les aides publiques (type DJA) et le prêt bancaire sont généralement utilisés pour installer la ferme. Par contre, la manière d’investir diffère d’une ferme à l’autre (installations progressives ou bien investissements intenses au début). De la même manière le recours à l’occasion et à l’auto-construction n’est pas généralisé à toutes les ferme. Parfois c’est l’achat neuf qui prévaut.
Salariat
L’emploi de personnes salariées est très rare sur les fermes étudiées. Les charges sociales associées sont trop lourde à porter pour le maraîcher gérant de la ferme.
Amélioration de la production par m²
Pour consolider les rendements, c’est la protection des cultures (voiles de forçage, serres, couches chaudes) et la succession rapide de légumes qui sont les principaux leviers. Les associations de cultures sont régulièrement pratiquées et sont un levier complémentaire pour densifier la production.
Réduction du temps de travail
Les 2 leviers principaux sont la couverture du sol (bâches et paillages) pour limiter les désherbages ainsi que le non travail du sol. L’expérimentation d’outils adaptés au micro maraîchage pour densifier les cultures est un axe de travail qui prend de l’ampleur.
Diversité cultivée
Rares sont les fermes qui ciblent exclusivement les légumes à haute valeur ajoutée. C’est en lien avec le besoin de résilience et d’autonomie. L’idée est plutôt que les légumes à faible valeur ajoutée (légumes de garde) sont compensés par les légumes primeurs et d’été.
Paillages
Les paillages plastiques ou organiques sont majoritairement présents sur les différentes microfermes. Le plastique est intéressant notamment les premières années où tout est à installer pour ne pas se faire déborder par le désherbage. Puis ensuite plusieurs maraîchers réduisent l’utilisation du plastique progressivement pour privilégier le paillage organique.
Gestion de la fertilité des sols
L’utilisation des engrais verts est généralisé sur les fermes étudiées ainsi que l’utilisation de ressources locales comme le fumier le BRF et la paille
Santé des plantes
Toutes les fermes pratiquent les rotations des cultures et basent leur système global de ferme sur le développement de la biodiversité. Au niveau des traitements, ils sont régulièrement faits maison.
Organisation spatiale et temporelle
Tout un écosystème se développe autour des surfaces maraîchères à travers la plantation d’arbres et l’élevages d’animaux. Pour maîtriser l’ensemble du système, une bonne partie des maraîchers simplifie son assolement et ses rotations.
Vous voyez qu’il n’y a pas de ferme type, ni de stratégie miracle. La phrase de Kévin MOREL en page 37 résume très bien cela :
Il n’y a pas de stratégie miracle. C’est la cohérence entre commercialisation, investissement, lien au territoire, choix techniques et organisation du travail qui sont les facteurs clés de réussite ! La viabilité des microfermes est fortement liée à la manière dont les maraîchers effectuent ces compromis et arrivent à hiérarchiser ou à concilier leurs différentes aspirations en tension. Ainsi, les porteurs de projets doivent réfléchir constamment à la nature des compromis qu’ils sont prêts ou non à faire et être vigilants à ce que leur engagement écologique et social ne se fasse pas au détriment de leur qualité de vie !
Comment modéliser une microferme ?
Bien, si vous me lisez encore c’est que vous êtes déterminé à en savoir plus sur cette thèse ! Dans cette partie, je vais résumer les bases du modèle développé pour que vous puissiez ensuite bien comprendre les résultats.
Cette fois, nous nous concentrons sur l’étude chiffrée précise de 10 microfermes qui ont été suivies pendants 1 à 3 ans. Avec les retours des maraîchers, il a été établi les scénarios clés pour étudier la viabilité économique d’une microferme sont :
Choix techniques
Microagriculture manuelle, maraîchage biointensif ou maraîchage bio classique
Commercialisation
En paniers sur 12 mois dont culture de garde ou en panier sur 9 mois sans cultures de garde
Investissements
Installation à bas coûts ou installation à hauts coûts
La microagriculture désigne une production sans motorisations avec une haute densité de culture associées faisant succéder de 2 à 6 légumes par an sur une même surface. Le maraîchage biointensif a une faible motorisation (motoculteur, petit tracteur) une haute densité de cultures sans associations faisant succéder 1 à 4 légumes. Enfin le maraîchage classique se compose d’une forte motorisation, d’une densité faible de plantation (successions de 1 à 2 légumes max par an).
A noter que pour cette étude, la ferme de base est la suivante : un maraîcher seul, sans capital de départ, exploitant à titre principal, demandant les DJA et qui n’emploie pas de bénévoles.
Les différentes bases de données utilisées pour le modèle sont décrites de la page 45 à 53. Vous y trouverez :
- un tableau reprenant pour chaque légume : les prix, les rendements et temps de production avec une explication détaillées des hypothèses pour calculer les médianes. Ce tableau peut vous être utile pour estimer d’après votre planning de culture un chiffre d’affaire prévisionnel. Attention, ces ratios sont à considérer pour un projet de ferme diversifiée et non légume par légume.
- Les hypothèses de calcul des temps de travail administratifs, les charges, les aides et les investissements de base
Résultats du modèle, quelles sont les microfermes les plus viables ?
Nous avons clarifié ce qu’était une microferme et les hypothèses de base de la modélisation. Passons donc ensemble à l’analyse des résultats de la thèse.
Pour chaque scénario (technique, commercialisation, investissement), le modèle a fait varier plusieurs milliers de fois les paramètres suivants :
- Les plans de culture : la surface affectée à chaque légume sous réserve qu’au global il y ait une offre suffisante pour faire les paniers demandés
- Les rendements par légume : tirage aléatoire dans une fourchette cohérente, ce qui permet de voir les bonnes et les mauvaises années
- Les temps de travail : idem
Toutes ces simulations permettent de connaître la productivité de chaque type de ferme et d’avoir la valeur moyenne, la valeur supérieure et valeur inférieure. Le tableau de la page 55 rassemble ces résultats et précisant ce que signifie chaque chiffre (moyenne et écart type).
Les ratios au m² présentés font référence à une surface plus large que la surface cultivée. La surface prend en compte les allées et passe pieds dans la surface cultivée (20% sous serre, 35% en plein champ) et 0,3Ha supplémentaires pour les chemins et bâtiment.
Pour simplifier la lecture de ces résultats, j’ai repris les chiffres moyens en phase de routine pour une commercialisation sur 12 mois (le tableau complet est disponible en page 55). On peut voir que le système manuel génère le plus de chiffre d’affaire par m², mais qu’en contrepartie le temps de travail est bien plus important. Il semble qu’un équilibre se trouve avec le maraîchage biointensif qui présente le ratio chiffre d’affaire par heure le plus intéressant.
Cela ne veut pas dire que les autres systèmes sont moins bons ! Nous sommes sur des valeurs moyennes, et parfois la valeur haute de l’un dépasse la moyenne de l’autre. Tout dépendra de l’organisation du maraîcher dans sa ferme. Un deuxième tableau dans le cas d’une vente sur 9 mois sans légumes de garde permet d’identifier un gain de performance de 5% à 15% selon les systèmes. Mais comme nous l’avons vu, cette variante répond mal aux souhaits d’autonomie des porteurs de projets.
Pour étudier la viabilité d’une microferme, il convient de partir d’abord du souhait du maraîcher. Comme nous l’avons vu en première partie, les 20 fermes enquêtées sont bien différentes. L’idée de Kevin MOREL est de proposer 6 objectifs de vie différents à étudier (en termes de revenus et de temps de travail).
A noter que 2500h/an correspond à 50h par semaine sur 50 semaines dans l’année et 1800h/an correspond à 36h par semaine en moyenne sur 50 semaines. En maraîchage, on estime un temps plein entre 2500h/an et 3000h/an.
Pour chacune des fermes types (choix techniques / commercialisation / investissements), 1000 simulations ont été réalisées et on compte ensuite le nombre de fois où chaque objectif de vie est satisfait. Cela donne un pourcentage de « chance de viabilité économique ». Pour simplifier la lecture, j’ai repris les valeurs moyennes pour la phase de routine avec la vente sur 12 mois.
Pour les fermes viables dans les simulations, nous avons les surfaces moyennes possibles dans le tableau ci-dessous. Cela peut vous permettre d’analyser votre propre projet de façon critique pour voir si vous êtes dans les bons ordres de grandeur.
Conclusions : discutons !
On peut voir dans les simulations que globalement la diversification sur petites surfaces en maraîchage a du sens et permet d’être viable économiquement. C’est particulièrement vrai sur le système biointensif. C’est la baisse des charges qui est la clé de cette rentabilité. Kevin MOREL rappelle dans son travail que :
« Ces résultats ne montrent pas que les systèmes de microagriculture et de maraîchage biointensif sont plus viables que le système classique dans l’absolu mais que dans le cadre d’une petite surface diversifiée, la logique classique n’est pas la plus adaptée car la production d’une petite surface ne permet pas de bien rentabiliser/amortir les charges plus importantes du système classique (plus d’équipement et de motorisation) qui seront sans doute plus pertinentes sur un système de plus grande surface avec un certain niveau de spécialisation. »
Comme le rappelle Kevin MOREL plusieurs fois dans ce document de travail : ces résultats sont issus d’un nombre restreint de fermes. Ces résultats ne peuvent pas être pris comme des références, chaque ferme est spécifique. Malgré cela, les résultats ont été jugés crédibles par plus de 300 personnes du métier (maraîchers, enseignants, animateurs et techniciens) ce qui nous permet à nous jeunes agriculteurs en installation de nous en inspirer !
Je vous invite vivement à lire les pages 62 à 67 qui apportent des conclusions plus précises sur chacun des thèmes suivants :
- Pourquoi le système classique a-t-il de si faibles résultats ?
- Culture de conservation hivernale ou pas ?
- Difficultés de l’installation et risques de la stratégie à bas coûts
- Surfaces cultivées et part de serres des simulations viables
- Des résultats encourageants pour les microfermes mais pas de solution miracle
Enfin, de la page 72 à 78 vous trouverez plusieurs propositions pour consolider la rentabilité de votre ferme :
- Bien valoriser ses légumes et choisir ses créneaux commerciaux
- Trouver la bonne combinaison de circuits de commercialisation
- Aides à l’installation, capital de départ et revenus annexes
- Innovations techniques et intelligence écologique
- Travailler à plusieurs ?
- S’appuyer sur le collectif
Et bien voilà, j’espère que ce résumé d’un travail de thèse vous a intéressé ! Je remercie beaucoup Kevin MOREL et tous les chercheurs et professionnels qui ont contribué aux rédactions de ces documents. Ils apportent un éclairage solide et « dépassionné » sur les microfermes. Maintenant à vous d’aller en détail chercher l’info qui vous manque dans le document original et de comparer votre ferme (en conception ou bien en fonctionnement) avec les résultats des modélisations. N’hésitez pas à partager ici vos retours d’expériences pour alimenter la discussion.
A bientôt !
Sources :
- Kevin Morel. Viabilité des microfermes maraîchères biologiques. Diffusion des principaux résultats de thèse.. [Rapport de recherche] INRA; AgroParisTech; Université Paris-Saclay. 2018.
- Morel, K., 2016. Viabilité des microfermes maraîchères biologiques. Une étude inductive combinant méthodes qualitatives et modélisation. Thèse de doctorat. UMR SADAPT, INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay. https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01557495
Très beau résumé. Merci Julien.
Merci beaucoup Claire !
Très intéressante synthèse et encourageant de voir que les institutions scientifiques se penchent sur les alternatives agricoles
Merci Mathieu. Oui ce travail de recherche peut motiver pour s’installer en maraîchage.
Bonjour et merci pour toutes ces informations!
Le lien concernant l’étude de K. Morel ne fonctionne plus.
Serait-ce possible d’avoir un autre lien ou de me l’envoyer sur ma boite mail?
Cordialement.
Lien retrouvé, merci!!